Si Apple peut être accusée d’utiliser des œuvres protégées, que dire de vos contenus, vos quiz, vos parcours créés à coups de prompts ? L’IA n’efface pas le droit d’auteur — elle le réveille.
Un géant peut trébucher
Même les plus puissants ne sont pas à l’abri. Apple est aujourd’hui mise en cause pour avoir utilisé, sans autorisation, des milliers de livres protégés par le droit d’auteur afin d’entraîner son modèle d’intelligence artificielle. Cette affaire, emblématique de la zone grise dans laquelle évolue l’IA générative, rappelle que le simple accès à un contenu ne suffit pas à en autoriser l’usage. Les géants du numérique, longtemps tentés de considérer le Web comme une ressource gratuite et infinie, découvrent à leurs dépens que la propriété intellectuelle reste un droit fondamental.
Le secteur de la formation n'est pas à l'abri
Ce débat dépasse largement la Silicon Valley. Dans les directions L&D, l’IA générative s’est imposée comme un outil quotidien : elle rédige des scénarios, conçoit des quiz, reformule des modules, personnalise des parcours. Son efficacité est telle qu’on en oublie parfois la question essentielle : sur quelles données repose ce tour de force ? Les modèles utilisés dans la formation – qu’ils soient intégrés dans un LMS ou déployés via un assistant de conception – s’appuient sur des corpus composites, mélangeant textes, images et vidéos, souvent extraits d’Internet. Autrement dit, sur des matériaux dont le statut juridique n’est pas toujours clair. Poser la question, une exigence : êtes-vous sûr que toutes les données externes utilisées dans vos formations, vos parcours, vos supports pédagogiques, ne sont pas frappées d’un droit de propriété intellectuelle ? Peu d’organisations peuvent y répondre sans hésiter. Les prestataires eux-mêmes n’ont pas toujours la traçabilité des données ayant servi à entraîner leurs modèles. Dans cet univers mouvant, l’ignorance n’excuse plus le risque. (Il est vrai que les contenus ou les parcours de formation professionnelle composent souvent des contenus sur mesure, censés appartenir à l'entreprise, et donc échappant au risque que celle-ci contrevienne là au droit de propriété, et des contenus sur étagère (génériques) dont le provenance n'est pas toujours tracée : de quoi sérieusement compliquer la vie des responsables formation.)
L’illusion du « droit libre »
La facilité d’accès crée une illusion de liberté. Parce qu’un contenu est en ligne, il semble réutilisable. Or, la plupart des textes, images, vidéos, podcasts, restent protégés par leurs auteurs, même lorsqu’ils sont disponibles publiquement. La situation se complique encore lorsque l’IA générative entre en scène : elle puise, transforme, réécrit — et fait disparaître toute trace d’origine (ce à quoi s'emploient certains prompts bien rédigés, sinon des logiciels spécialement conçus dans cet objectif). Le résultat peut paraître « neuf », mais il peut aussi dériver d’une œuvre protégée. Dans ce contexte, le concepteur pédagogique, l’entreprise ou le prestataire deviennent potentiellement responsables d’une violation involontaire du droit d’auteur.
Le nouveau devoir de vigilance
Le monde du learning ne pourra pas rester spectateur. La traçabilité des contenus doit redevenir un principe de gouvernance. Cela suppose de connaître les sources, d’identifier les licences, de contrôler les fournisseurs de solutions d’IA et d’obtenir des garanties écrites sur leurs jeux de données. Certaines entreprises commencent d'établir des chartes d’usage précisant ce qui peut être généré, adapté ou repris, et sous quelles conditions. D’autres choisissent d’entraîner leurs propres modèles sur des données internes, pour maîtriser pleinement leur patrimoine intellectuel. Ces démarches, encore rares, annoncent la norme de demain : produire du savoir exige désormais de savoir d’où il vient. La mésaventure d’Apple (pris la main dans le sac) agit ici comme un signal fort. Ce qui frappe aujourd’hui un géant mondial pourrait demain concerner n’importe quelle organisation manipulant de la donnée, du texte ou de l’image à des fins pédagogiques. Dans un monde où la frontière entre inspiration et reproduction s’efface, la responsabilité devient le socle de toute innovation.
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